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La sapiosexualité, un concept erroné

Depuis que Marlène Schiappa a déclaré être sapiosexuelle, le terme s’est frayé une place dans le paysage médiatique. Du latin « sapiens », qui réfère à l’intelligence, la raison et la sagesse, ce néologisme marque-t-il la réalité d’une orientation sexuelle, d’une attirance pour des pratiques érotiques spécifiques ou est-il un concept vide de sens ?

Bien qu'un nombre grandissant de personnes se déclarent sapiosexuelles, la sapiosexualité n'est pas une orientation sexuelle.


La science a fait de considérables progrès et porté un éclairage sur nombre de mystères de la nature, néanmoins, les voies de la rencontre amoureuse restent encore énigmatiques. Qu’elle soit déterminée par des mécanismes psychiques inconscients, phéromonaux ou tout autre chose, l’orientation du choix amoureux suscite souvent des questionnements laissés sans réponse. Si l'attraction qui pousse deux individus à s’engager dans des relations intimes est, dans la pensée populaire, le fait des "atomes crochus", plus pragmatiquement, nous dirons que ce sont les traits spécifiques de chaque personnalité qui déterminent, en fonction de leur compatibilité, le rapprochement de deux êtres. Apparence physique, charisme, statut social, niveau de culture, intelligence, originalité, sex-appeal, sont les principaux paramètres de l’attractivité amoureuse que chacun priorise en fonction de ses aspirations, mais indépendamment de son orientation sexuelle. L'attraction amoureuse est toutefois à différencier des préférences sexuelles, c’est-à-dire des phénomènes motivant le désir, et aucun des facteurs présidant à la rencontre ne saurait garantir le succès de la rencontre sexuelle. Dans l’idéal, l’attractivité se conjugue avec l’harmonie sexuelle ou mieux, la complicité érotique. Dans le cas contraire, on évoquera l’erreur de casting et l’échec à plus ou moins long terme de l’aventure amoureuse.

Si dans la sphère des attirances, l’apparence physique prédomine, pour un sapiosexuel, l’intelligence du partenaire est une puissante source d’attractivité, tant sur le plan sentimental que sexuel.


Depuis que Marlène Schiappa a déclaré être sapiosexuelle, le terme s’est frayé une place dans le paysage médiatique. Du latin « sapiens », qui réfère à l’intelligence, la raison et la sagesse, ce néologisme marque-t-il la réalité d’une orientation sexuelle, d’une attirance pour des pratiques érotiques spécifiques ou est-il un concept vide de sens ? Notion ambigüe inquantifiable dans sa conception holistique, le quotient intellectuel (QI ) ne servant qu’à évaluer une infime partie de ses expressions, l’intelligence ne se révèle à autrui que par le filtre de sa propre subjectivité. Nous pouvons ainsi être intelligents pour certains et stupides pour d’autres. De plus, il est aisé et courant de confondre intelligence et instruction, culture et érudition. Le sujet de cet article ne sera donc pas de débattre autour de cette notion. Nous l’accepterons simplement comme une réalité mouvante et non monolithique.


Depuis le début des années 2000, le champ lexical des orientations sexuelles s’est enrichi de plusieurs termes ayant l’ambition de nommer avec précision les diverses affinités sexuelles. Ainsi sont apparues, bisexualité, asexualité, pansexualité, allosexualité, altersexualité, une kyrielle de mots censés définir des catégories de personnes évoluant en dehors des cadres de l’hétérosexualité normative et de l’homosexualité traditionnelle. La mise en lumière de ces « subsexualités », la plupart regroupées dans le mouvement queer, n’est pas la conséquence d’un quelconque changement fondamental dans la nature des orientations sexuelles, mais le symbole d’une lutte « politique » pour la reconnaissance et l’acceptation des différences au sein de sociétés attachées à la norme hétéro. Si le combat de ces minorités ne porte pas des enjeux identiques à celui des gays ou des transgenres, il permet de prendre conscience de l’extraordinaire diversité des aspirations et attirances sexuelles.


Hétéro, homo, sapio : trouvez l'intrus.


Si les concepts d’hétérosexualité, homosexualité, pansexualité et consorts renvoient à des modes durables d’attirance sexuelle pour un sexe et/ou un genre, la sapiosexualité qui renvoie à une attirance pour une qualité au pouvoir érogène, l’intelligence, ne peut logiquement entrer dans le vaste ensemble des orientations sexuelles. Exclus de facto de ce cet univers, elle pourrait cependant identifier un penchant pour des pratiques érotiques singulières, basées en l’occurrence sur la mobilisation de l’intellect à des fins d’excitation et de jouissance sexuelle. Mais concrètement peut-on atteindre l’orgasme à l’écoute d’un discours du Mahatma Gandhi, la lecture d’une lettre d’amour rédigée en grec ancien ou au cours d’une discussion philosophique particulièrement profonde ? S’il faut se garder de réponses péremptoires dans le domaine de la sexualité du plaisir, nous pouvons néanmoins douter que cela advienne fréquemment. En reprenant le modèle triphasique de la réponse sexuelle d’Helen Kaplan, désir/excitation psycho-génitale/orgasme, on suggèrera que l’intelligence présumée du partenaire alimente le désir, voire déclenche une érection ou une lubrification vaginale, mais plus hypothétiquement un orgasme. La sapiosexualité apparaît par conséquent comme un concept erroné qui reflète la réalité de l’existence d’un type d’attirance sexuelle, sans concentrer l’ensemble des éléments déterminants la réponse sexuelle in extenso. De fait s’impose la nécessité de considérer la question sur le plan du fétichisme qui offre une autre perspective d'analyse du phénomène. En effet, pour les personnes sapiosexuelles, on peut supposer que l'intelligence détienne le pouvoir d’excitation du fétiche, telles certaines parties du corps, matières ou tenues vestimentaires. Le focus exclusif mis sur la qualité cérébrale pourrait de surcroît s'apparenter au partialisme qui réfère à une excitation sexuelle spécifique, liée à une seule et unique partie du corps humain. Pour définir précisément cette attirance sexuelle assujettie à l’intelligence du partenaire, il conviendrait idéalement de parler de sapiophilie, et non de sapiosexualité, sans toutefois l’inclure parmi les troubles paraphiliques référencés dans le DSM5.


Si nous ne pouvons considérer la sapiosexualité comme une orientation sexuelle ou une préférence sexuelle, il est toutefois intéressant de remarquer que les érotismes tantrique, BDSM, kinbaku, cyber, romantique ou encore méditatif reposent sur dynamique sexo-relationnelle où l’intelligence joue un rôle principal. Basés sur l’intellectualisation du plaisir, ces démarches érotiques qui peuvent, dans leurs expressions les plus abouties, mener à l’orgasme sans stimulations génitales, seraient véritablement en phase avec la notion de sapiosexualité. Et là encore nous pourrions, si nous voulions être parfaitement rigoureux, affiner le concept en proposant le néologisme de sapio-érotisme.

Genre et sapiosexualité.


Il ressort des sondages et études que les femmes sont, plus que les hommes, sensibles à la qualité intellectuelle de leur partenaire au point d’en faire pour une partie d’entre elles leur premier critère d'attirance. Le constat n’est pas récent et sans que cela soit systématique, la fonction érotique (l’exercice conscient du plaisir sexuel) est chez les femmes, corrélée à un besoin de richesse, d’intelligence relationnelle, pour mener à la satisfaction sexuelle. Notons que cette exigence peut se convertir en mobile de mésentente conjugale lorsque les femmes posent clairement que leur excitation sexuelle ne peut naître sans préliminaires relationnels nourris. Pour la majorité de la gent féminine, la stimulation érogène passe plus naturellement par la pertinence relationnelle que par la perfection corporelle de leur partenaire. L’attirance pour la qualité intellectuelle n’est toutefois pas le domaine réservé des femmes, et si les hommes manifestent généralement une attention prononcée pour l’esthétique, il n’en demeure pas moins que pour une partie d’entre eux, l’esprit prévaut sur le physique.


La sapiosexualité est clairement un terme médiatiquement porteur mais sexologiquement vide de sens.


Pour autant, cette approximation sexo-linguistique a le mérite d'avoir mis en exergue une forme d’attirance sexuelle particulière dans laquelle nombre de femmes et d’hommes se reconnaissent. Il ressort des discussions sur les forums dédiés que certaines personnes éprouvent une gêne à se déclarer attirées par l’intelligence, se sentant à la limite de l'anormalité. Rien d’étonnant dans un contexte ou l’érotisme porno s’est imposé comme la référence en matière de sexualité du plaisir. Il est aussi important de remarquer que l’attirance pour l’intelligence, l’instruction, le charisme se confond parfois avec un fétichisme du pouvoir. En tant que symbole de puissance, l’homme de pouvoir offre des perspectives inconsciemment rassurantes et la sexualité féminine dans toutes ses composantes ne s’exprime jamais mieux que dans un cadre sécure. Le mythe du « Prince charmant » est à cet égard révélateur d’une transmission culturelle basée sur l’importance que les filles sont censées accorder à la protection et la sécurité, car aussi charmant soit-il, le Prince est avant tout homme de pouvoir. Enfin les sapiophiles possèdent un avantage sur ceux qui accordent une primauté à la beauté et l’apparence physique. L’intelligence, contrairement à l’esthétique, est une qualité qui perdure et les couples bâtis sur cette attirance réciproque auront l’opportunité de s’épanouir dans la durée, préservés des affres du temps.

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