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Sexsomnie et agressions sexuelles nocturnes

La mise en évidence de cette variante du somnambulisme aura eu une conséquence pour le moins inattendue : rendre confuse la notion d’agression sexuelle durant le sommeil et ouvrir une opportunité de défense pour les accusés.

La sexsomnie, un somnambulisme sexuel.


Si les rêves érotiques sont l’une des plus courantes expressions de l’activité érotique nocturne, ils ne doivent cependant pas être confondus avec d’autres comportements à caractère sexuel, susceptibles de hanter nos nuits et regroupés sous les termes de sexsomnie, parasomnie sexuelle ou somnambulisme sexuel.


On estime que 10% des personnes souffrant d’une altération de l’architecture du sommeil ont connu ou connaîtront au moins un épisode de parasomnie sexuelle.


Cette sexualité d'automate nocturne peut parcourir une palette de manifestations variées : vocalises de la jouissance, langage obscène, mouvements pelviens, masturbation, attouchements, pratiques orales et coïts. Introduite dans les classifications médicales depuis une décennie, la sexsomnie est un dérivé du somnambulisme. On estime que 10% des personnes souffrant d’une altération de l’architecture du sommeil ont connu ou connaîtront au moins un épisode de parasomnie sexuelle. Si les femmes ne sont pas épargnées, ce sont surtout les hommes qui sont touchés par le phénomène. Hors de contrôle, ces activités sexuelles nocturnes ne laissent que de rares empreintes mnésiques et au réveil les sexsomniaques peuvent avoir tout oublié. Généralement bénignes, elles peuvent néanmoins revêtir des formes plus graves aux conséquences psychologiques, sociales et juridiques dramatiques.


Selon les spécialistes des questions du sommeil, la sexsomnie est définie comme un trouble de l’éveil en sommeil non paradoxal (DSM-5) ou un trouble du réveil en sommeil lent profond (CITS-3). Rappelons que contrairement à ce qui fut longtemps admis, le sommeil est un phénomène actif comprenant plusieurs cycles, eux-mêmes divisés en deux principales phases : le sommeil lent ou sommeil NREM (Non Rapid Eye Movement) et le sommeil paradoxal ou sommeil REM (Rapid Eye Movement). Le sommeil lent au stade 1 correspond à l’endormissement. La respiration ralentit, les muscles se relâchent et la conscience du monde extérieur diminue. Au stade 2, sommeil lent léger, les activités oculaires et musculaires se réduisent, la conscience de l’environnement s’amenuise un peu plus, mais à ce stade on peut encore facilement être réveillé.e. Durant le sommeil lent profond, stade 3, le monde extérieur s’efface, l’activité cérébral s'amoindrit et il est difficile d'être sorti.e des bras de Morphée. Le sommeil paradoxal, qui suit toujours une phase de sommeil NREM, est marqué par une activité cérébrale très intense, des mouvements oculaires rapides et incessants, une paralysie due à l’atonie musculaire, des congestions réflexes des organes reproducteurs et la présence des rêves les plus élaborés. Si les principales expressions du somnambulisme sexuel surviennent durant les phases de sommeil lent, les troubles du sommeil paradoxal, qui autorisent la persistance du tonus musculaire, sont parfois à l’origine de comportements sexualisés comme la catathrénie une parasomnie se caractérisant par l’émission de sons et vocalises, s’apparentant à des grognements, gémissements et petits soupirs sexuels.


La personne sujette à la parasomnie sexuelle ne le découvre en général que par l’intermédiaire d’un tiers qui a soit assisté à une scène de vocalises sexuelles ou de masturbation, soit été la cible des agissements du sexsomniaque. Parce que ce dernier paraît éveillé, qu’il a les yeux ouverts, qu’il est en capacité de s’exprimer, le ou la partenaire assaillie peut ne pas se rendre compte au premier abord de ce qu’il se passe réellement et quelques témoignages font état de plusieurs séquences de sexsomnie avant que ne soit découvert le pot aux roses. C’est principalement le caractère inhabituel des pratiques sexuelles du sexsomniaque, fortement désinhibées, qui instille le doute dans l’esprit du ou de la partenaire. Il est généralement facile de sortir le sexsomniaque de sa torpeur, mais lorsque l’épisode se déroule durant le sommeil lent profond, il peut malgré les protestations de sa victime rester bloqué dans son état, devenir agressif et imposer un rapport sexuel ayant toutes les caractéristiques du viol.


L’étiologie de la sexsomnie n’est pas clairement établie, toutefois les experts reconnaissent que le stress, la privation de sommeil, la consommation d’alcool ou de stupéfiants, des troubles du sommeil coexistants, l’apnée obstructive du sommeil, l’épilepsie liée au sommeil, des antécédents familiaux de somnambulisme et certains médicaments (neuroleptiques et somnifères) favorisent la dissociation entre les états de veille et de sommeil et conséquemment, l’apparition des crises de sexsomnie. Pour poser leur diagnostic, les médecins du sommeil peuvent opter pour la méthode subjective en s’en remettant aux témoignages de leurs patients ou plus sûrement, s’appuyer sur des tests cliniques objectifs à base de vidéo-polysomnographie ou d’électroencéphalogramme.


À cette heure il n’existe pas de traitements spécifiques de la sexsomnie.


C’est plutôt la prévention que visent les spécialistes. Il sera donc conseillé aux sexsomniaques d’éviter les facteurs de risque, de veiller à l’amélioration de leur hygiène de vie et de sommeil et, le cas échéant de récidives, de dormir dans une chambre séparée. L’appui d’un psychologue est recommandé lorsque le sexsomniaque est envahi de sentiments de honte et de culpabilité suffisamment importants pour perturber sa vie sociale, professionnelle et intime.


Dans le cadre d'une relation de couple, la sexsomnie n'est pas simple à gérer. S'il est possible de s'en accommoder, à la condition d'une grande complicité de couple et d'une faible récurrence des épisodes, dans la majorité des cas, ce trouble du sommeil provoquera tensions, ruptures et une éventuelle mise en examen du sexsomniaque pour viol conjugal. Il est donc essentiel qu'au moindre doute le couple sollicite l'assistance d'un médecin spécialisé et d'un sexologue.


La sexsomnie doit-elle exonérer de la responsabilité pénale ?


Avec la médiatisation du phénomène, il est à redouter que les avocats à l’éthique chancelante ne s’en servent systématiquement comme moyen de défense. Mons, Belgique, mars 2010, l’avocat d’un père de famille de 30 ans plaide devant le tribunal correctionnel l'acquittement de son client accusé de viol incestueux, au motif de son somnambulisme sexuel. Les experts chargés d’étudier le cas n’étant pas parvenus à infirmer la vraisemblance de la parasomnie sexuelle, les juges après délibérés se prononcent pour la relaxe du prévenu. Cette affaire n'est pas isolée et s’il est en principe possible de déterminer par des examens appropriés l’existence de ce trouble, sa complexité peut concourir à des erreurs diagnostiques délétères. C’est pourquoi il est primordial de pouvoir s’assurer de la compétence des médecins-experts examinant la véracité d’un somnambulisme sexuel lorsque celui-ci est érigé en système de défense.


La mise en évidence de cette variante du somnambulisme aura eu une conséquence pour le moins inattendue : rendre confuse la notion d’agression sexuelle durant le sommeil et ouvrir une opportunité de défense pour les accusés. En admettant que l'état d'inconscience puisse être appréhendé comme une circonstance atténuante, voir un motif d'acquittement, les juges ont entamé une déconstruction de la qualification pénale de l'agression sexuelle qui est encore légalement définie comme « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » On pourrait d’ailleurs avancer qu’a minima la surprise, qui vise l’effet plus que l’intention, devrait être établie en tout état de cause. Mais, ce n’est pas ainsi que se dessine la jurisprudence et il semblerait que les agressions sexuelles nocturnes se dédouanent de plus en plus souvent par une présumée sexsomnie. La prise en considération de « l’inconscience » pour minimiser la valeur pénale d’une agression sexuelle et le traumatisme des victimes, résonne avec un arrêt rendu par la Cour de Cassation du 14 Octobre 2020. Dans celui-ci les juges ont laissé entendre qu’une pénétration involontaire serait disqualifiante et ont apporté une nuance qui diminue, au même titre que la notion de conscience, l’amplitude du texte de loi. Ce glissement dans l’appréciation de l’intention législative n'est pas de bon augure et démontre que la justice persiste à privilégier les doléances des agresseurs aux souffrances des victimes.


Cette pathologie du sommeil doit donc amener une réflexion sur la notion d’inconscience des agressions sexuelles sexsomniaques et la manière d’y répondre juridiquement, notamment lorsqu’elles sont induites par une consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants. Parce que si l’agresseur peut effectivement agir indépendamment de sa volonté, la réalité de l’agression n’en est pas atténuée pour autant.



 
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