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Articles et dossiers

Victimes de viols, le parcours de la honte

Souvent rongées par la honte ou la peur de ne pas être prises au sérieux, seules 16 000, sur les 200 000 victimes de viols (ou de tentatives de viols) dénombrées chaque année en France, franchissent la porte d’un commissariat.


"Elle l'a bien cherché" : documentaire ARTE, juillet 2019.


Souvent rongées par la honte ou la peur de ne pas être prises au sérieux, seules 16 000, sur les 200 000 victimes de viols (ou de tentatives de viols) dénombrées chaque année en France, franchissent la porte d’un commissariat. Elles ne verront pas toutes leur agresseur condamné puisqu’une plainte sur dix seulement aboutit aux assises. Débordés, policiers et magistrats sont contraints de ne garder que les dossiers les plus "solides". Un témoignage fragile, des circonstances obscures ou une absence de séquelles physiques peuvent conduire au classement sans suite de l’affaire. Victimes de viol, Marie, 20 ans, Manon, 27 ans, Michèle, 56 ans et Muriel, 42 ans, expérimentent ce long combat où, à tout moment, le destin de leur plainte peut basculer.

Suspicion latente


Auditions au commissariat, confrontations, suivi à l’hôpital, entretiens avec l’avocat puis procès : Laetitia Ohnona n’omet rien du parcours du combattant qui incombe aux victimes de viol. Il leur faudra répéter inlassablement leur histoire, maîtriser leurs angoisses, subir les questions intimes des policiers et les examens gynécologiques. Au plus près de quatre femmes à différents stades de la procédure, la réalisatrice questionne aussi les représentations pesant sur elles. "Le jury populaire a souvent de nombreux a priori", prévient l’avocate de Muriel, violée à la suite d’une soirée arrosée qui a dérapé. L’alcool, une tenue légère ou un flirt renvoient souvent à une suspicion latente de co-responsabilité. Sans pour autant incriminer une institution judiciaire dépourvue de moyens, ce documentaire lève le voile sur les lacunes du processus et interroge notre conscience de juré potentiel.



Documentaire de Laetitia Ohnona (France, 2018, 51mn)


La culture du viol, enracinée jusque dans les locaux d'un commissariat où sont auditionnées des femmes victimes. Impossible de ne pas interroger la présence incongrue d'un poster géant du film "50 Nuances de Grey", faisant l'apologie d'un BDSM perverti, et d'une affiche de L'Orchidée Noire, club libertin et échangiste de Nantes, représentant une femme dans une pose suggestive, jambes écartées, bas et porte jarretelles, les poignets ligotés par une corde... Quel genre de messages peuvent véhiculer ces images auprès de femmes victimes de violences sexuelles, en état de choc, forcées de subir des dizaines d'interrogatoires successifs de policiers qui pour certains "n'y croient pas trop", ou pensent qu'une femme peut mentir au sujet d'un viol pour "excuser un retard" ?

Trois quart des plaintes déposées n'auront pas de suites judiciaires.


Le manque d'éléments matériels pour pouvoir caractériser le viol est souvent invoqué par les magistrats. En définitive, une plainte sur dix seulement arrivera en Cour d'assises, où plus de la moitié des affaires jugées sont des viols. Mais si toutes les plaintes déposées arrivaient jusque là, le système judiciaire exploserait, littéralement.


Aux Assises, le viol est jugé en tant que crime par un jury populaire issu de la société civile. Un jury souvent en proie à de nombreux à priori sur les victimes, et des fausses représentations sur le viol.


Plaidoirie de l'avocate de l'une des victimes.


Mesdames et Messieurs les jurés, je tenais tout d'abord à vous remercier d'avoir été là pour accueillir la parole douloureuse, la parole fragile de Mme XXXX. Il est très difficile de dire une blessure si intime, une violence si totale.
C'était une soirée ensoleillée, gaie, bon enfant. Elle se laisse entraîner à boire à l'excès, mais elle était en confiance, en parfaite confiance. Et puis, tout basculé. Rien ne l'aura protégée, rien. Ni ses mots, "Je ne veux pas, non, arrête.. stop ! Arrête !", ni ses mains qui le repousse de toutes les manières possibles, ni ses cris, "Au secours ! Au viol !", rien. Et tout en se débattant, elle perd contact avec son corps, elle se dédouble, elle se dissocie, sans comprendre ce mécanisme de survie pour faire face à quelque chose qui est si insupportable, qui vous met en contact directement avec une expérience de mort. Alors quand elle rentre, elle se lave, elle se lave longuement et elle frotte, pas simplement pour enlever l'odeur de vomis, mais pour se débarrasser de "ça", comme elle le disait hier. Enlever "ça", arracher "ça, se laver de la souillure.
Il lui aura fallu 4 ans pour parvenir jusqu'à vous. Il lui aura fallu supporter, endurer, les multiples versions de l'accusé. S'entendre dire qu'elle l'aurait caressé, embrassé, elle qui venait de vomir, qui était comme elle le dit "malade comme un chien". Est-ce cela le désir au féminin ? Quel mépris, quelle négation de l'autre, quelle violence ! Il lui aura fallu entendre parler de "pulsions sexuelles" ; les hommes, excités, devraient aller jusqu'au bout. Et là, quel mépris pour les hommes ! "Fais pas chier, laisse toi faire", ces mots raisonnent encore. Mais en écoutant la parole de Mme XXXX, comme vous l'avez fait hier, vous lui avez déjà permis de retrouver une dignité, arrachée par les viols.
Jamais ce crime ne s'effacera, ni de son corps, ni de sa mémoire, elle devra vivre avec. Mais grâce à cette audience, elle va pouvoir poursuivre sa route, quatre ans presque jour pour jour après les faits qu'elle a dénoncés.

Après deux heures de délibération, la Cour déclare l'accusé coupable de viol. Elle le condamne à cinq ans de prison dont quatre avec sursis. Le condamné n'a pas fait appel. Comme la loi le permet, il exécute son année de prison ferme sous bracelet électronique, à trois rues du domicile de sa victime.

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