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Histoire de la contraception

La contraception a toujours existé dans les sociétés humaines : des techniques contraceptives, et pas seulement « naturelles » étaient employées dès l’Antiquité. Le regard social, et parfois légal, sur la contraception a fortement évolué d’une époque à l’autre, d’une société à l’autre, jusqu’au XXIème siècle.

Histoire et contextes de la contraception.


Depuis l'Antiquité jusqu'au milieu du XXème siècle, l’histoire de la contraception est souvent présentée comme une marche inéluctable et linéaire vers le progrès, durant laquelle auraient enfin été inventées des méthodes de limitation des naissances efficaces, et ce, pour le plus grand épanouissement des femmes. Mais présenter ainsi l’histoire, c’est oublier les enjeux sociaux et la signification que prend chacune de ces pratiques dans différents contextes géographiques, sociaux et historiques. Il faut donc complexifier cette lecture héroïque des contraceptifs dits « modernes » que l’on oppose souvent à la contraception « traditionnelle » ou « archaïque ».


Définition.


On peut définir la contraception comme étant l’ensemble des moyens visant à éviter une grossesse. Dans certains contextes elle est indissociable d’autres techniques destinées à limiter le nombre de descendants ou espacer les naissances. La distinction n’est ainsi pas toujours évidente entre contraception (éviter la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde), contragestion (empêcher la nidation de l’œuf fécondé dans l’utérus) et avortement (empêcher la poursuite d’une grossesse). Le poids moral placé sur ce dernier est en fait assez récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité et la différence entre ces trois procédés n’est pas toujours faite dans toutes les sociétés.


La « préhistoire contraceptive ».


On assiste jusqu’au XIXème siècle au développement d’un certain nombre de techniques de limitation des naissances. Chez les Grecs, les Égyptiens, et en Rome antique, on a recours de manière assez répandue à l’allaitement prolongé car on s’est rendu-compte qu’il pouvait empêcher une nouvelle grossesse. Et en effet, aujourd’hui, on sait que l’allaitement déclenche la production d’une hormone inhibant l’ovulation : la prolactine. Il existe également des techniques liées à la sexualité : l’abstinence, les pratiques non fécondantes dont le coïtus interruptus que l’on appelle aujourd’hui le retrait, ainsi que des pratiques anales ou orales, alors massivement utilisées.


Sont aussi employées des méthodes obstructives comme les pessaires (ancêtres des diaphragmes), les tampons, ainsi qu’un certain nombre de produits et potions à base d’herbes ou de plantes qui visent à faire « revenir les règles ».


Pessaire en bronze - 200 av J.C

L’avortement, l’infanticide et l’adoption ainsi que l’abandon d’enfant étaient couramment pratiqués car à l’époque, on ne faisait pas de distinction morale entre avortement et contraception, les deux étant considérés comme des techniques parmi d’autres. Toutefois, elles étaient seulement utilisées par une petite partie de la population, principalement les classes aisées.

Ce qui change au début de l’ère chrétienne et au Moyen-Âge, réside principalement dans la perception du corps.


La doctrine chrétienne implique une séparation du corps et de l’âme accompagnée d’une condamnation des plaisirs de la chair, tout en encourageant la procréation dans le seule cadre du mariage. Ainsi, en termes de sexualité, cela se traduit par un anathème de toutes les pratiques contraceptives et abortives, quelles qu’elles soient. De même, toute activité sexuelle non fécondante ou orientée vers le plaisir est proscrite. Le « péché d’Onan », qui désigne à la fois le coït interrompu et la masturbation, est fortement condamné moralement. Seule l’abstinence périodique est tolérée, mais la méconnaissance du fonctionnement du cycle ovulatoire rend son efficacité aléatoire. Paradoxalement, l’avortement dans les trois premiers mois de grossesse n’est pas un crime, le fœtus n’étant pas considéré comme formé. On ne parle donc à cette époque que de « faire revenir les règles ».


Aux XVIIème et XVIIIème siècle, l’État se substitue progressivement au clergé pour règlementer la maternité.


L’infanticide et l’avortement deviennent des crimes réprimés par la loi et l'on constate que la médecine occupe de plus en plus de place dans la régulation des naissances. La population européenne connaît alors une croissance sans précédent liée au recul des maladies et de la mortalité infantile, ce qui conduit les Européens à contrôler d’avantage leur fécondité.

Préservatif en boyaux de porc (1640)

Même s’il s'agit avant tout de se protéger contre les maladies vénériennes, on utilise des préservatifs en peau d’animaux ou en boyaux de mammifères, des éponges et des tampons imbibés de substances acides et l'on pratique les douches vaginales. On voit alors apparaître progressivement dans les foyers ce que sont aujourd’hui les bidets. L’ensemble de ces techniques visent à endommager ou « nettoyer » la semence pour qu’elle perde ses vertus fécondantes. Mais une fois encore, ce contrôle de la fécondité reste circonscrit aux classes les plus favorisées de la population.


Un tournant démographique important en Europe.


Au XIXème siècle, la fécondité décroît en Europe de façon notoire par rapport aux deux siècles précédents, et ce dans toutes les couches de la population. Les historiens et les démographes s'interrogent alors sur ce phénomène qui semble être induit par un certain nombre d’innovations en matière de régulation des naissances comme le diaphragme qui, combiné avec la douche vaginale, s’avère très efficace. Nous sommes également dans la grande période de développement du caoutchouc, qui servira à la fabrication de nouveaux préservatifs. Enfin, les divers produits d’hygiène féminine viennent s’associer à ces techniques et innovations. Toutefois, ces solutions sont relativement onéreuses et nécessitent souvent l’intervention d’un médecin. Ainsi, la baisse de la fécondité en Europe serait plutôt due à une démocratisation des méthodes de contraception antérieures : l’allaitement prolongé, l’abstinence périodique et le coït interrompu pratiqués par le plus grand nombre. Le retrait devient en effet l’une des principales méthodes de contraception à la fin du XIXème siècle et sera utilisé en France jusqu’aux années 70.


Fin XIXème – début XXème, en réaction à cette baisse de la fécondité, une répression de plus en plus forte de l’avortement.


Il est alors associé à un crime puis progressivement, la contraception elle-même est considérée comme une atteinte à l’intégrité de la nation. Le changement que l’on observe lors de ce tournant démographique ne serait finalement pas lié aux procédés eux-mêmes, puisqu’on n’observe pas de véritable révolution vis-à-vis des techniques déjà utilisées par les Grecs anciens. Ce qui change véritablement, c’est l’emploi systématique de ces méthodes en Occident pour réduire la taille des familles, et non plus seulement pour espacer les naissances. Ainsi, ces moyens se révèlent relativement efficaces pour limiter massivement les naissances et ce, en l’absence de révolution technique majeure et face à l’hostilité publiquement déclarée du corps médical, des églises et de l’État. Ci-dessous, Marie-Louise Giraud, dernière femme à avoir été guillotinée en France pour avoir pratiqué 27 avortements.


Marie-Louise Giraud

Dans de nombreux pays, le XXème siècle constitue véritablement l’histoire du passage de la clandestinité de la régulation des naissances, à sa progressive libéralisation. En France, la contraception et l’avortement sont régis par une loi de 1920 visant à interdire la prescription, la vente et la publicité pour les contraceptifs. Cette loi perdure jusqu’en 1967, année de sa remise en cause par la loi Neuwirth, mais cette dernière ne sera appliquée qu’en 1972. On constate donc qu’en France, la temporalité est particulièrement lente à accorder aux femmes et aux couples le droit de décider de la taille de leur famille par rapport à d’autres pays dans le monde, comme les États-Unis et d’autres pays européens.


Au moment même où la contraception est fortement réprimée dans tous ces états nation occidentaux, ont lieu paradoxalement de très nombreuses innovations contraceptives.


Un certain nombre d’innovations mécaniques et chimiques voient le jour et se développent au début du XXème siècle. Avec l'expansion de l'industrie chimique, on assiste au perfectionnement des diaphragmes et des spermicides. Les diaphragmes sont rendus plus souples, plus efficaces et les substances spermicides, beaucoup moins nocives pour le corps des femmes.


C’est également dans les années 20 et 30 que la « méthode des dates » est perfectionnée avec la progressive connaissance du fonctionnement du cycle d’ovulation. Développée par les docteurs Ogino et Knaus, cette d’abstinence périodique consiste à identifier le moment du cycle le moins à risque de fécondation. Elle est aujourd’hui connue sous le nom de « méthode Ogino-Knaus ». C’est aussi l’époque de l’utilisation du latex dans la fabrication de nouveaux préservatifs.


Drs Kyusaku Ogino et Hermann Knaus

Dans les années 1950, des dispositifs intra-utérins en plastique montrent une efficacité supérieure aux produits existants. Dans les années 70 arrivent les stérilets en cuivre. Le Gravigard, qui n’est pas très différent de celui utilisé actuellement, est mis sur le marché en France en 1973.

Le XXème siècle est également le moment d’un certain nombre d’innovations chirurgicales.


Au début du XXème siècle, les techniques de stérilisation sont rendues plus efficaces et moins dangereuses grâce au recours systématique à l’asepsie et l’anesthésie. La stérilisation (féminine et masculine) se développe alors en Europe et dans le monde mais ne sera règlementée qu’en 2001. Dans le même temps sont inventées des techniques chirurgicales abortives moins risquées, si elles sont pratiquées dans les premiers mois de la grossesses : le curetage et l’aspiration (méthode Karman).

Le XXème siècle est le plus marqué en termes d’innovations hormonales.


Dans les années 20 et 30, en Europe se développent l’endocrinologie et la compréhension des processus hormonaux qui ouvrent la voie à une autre approche de la contraception. Dès les années 50, Grégory Pincus, médecin et biologiste américain, découvre qu’il est possible de bloquer l’ovulation via une technologie hormonale. Il met au point la première pilule contraceptive commercialisée aux États-Unis en 1960 et dont l'équivalent arrivera sur le marché européen un an plus tard.


Docteur Gregory Pincus (1960)

À partir des années 70, est développé un dispositif ne nécessitant plus de prise quotidienne mais permettant la libération progressive d'hormones pendant plusieurs mois : le stérilet hormonal. Lui succèderont dans les années 80, les implants et injections contraceptifs. Les patchs et anneaux quant à eux, seront mis sur le marché au début des années 2000. En France, c'est en janvier 2002 qu'est lancée une campagne nationale portant le slogan « La contraception, ne laissez pas l’imprévu décider à votre place » et la commercialisation d'un système intra-utérin hormonal, le Mirena®, d'une durée d’action de 5 ans.


Depuis les années 60 jusqu'aux années 2000, sont développées d’autres méthodes contragestives et contraceptives comme la « pilule du lendemain » connue dès les années 70, mais qui ne sera autorisée en France qu’à la fin des années 90. De même, durant les années 80 est élaborée une pilule abortive, le RU486, mis sur le marché en 1988 et permettant de proposer une alternative médicamenteuse à l’IVG. On peut donc véritablement parler de révolution hormonale dans la contraception au cours du XXème siècle avec un certain nombre d’innovations sur les produits eux-mêmes, mais aussi sur leurs modes de prise et d’administration.


Ces techniques ont-elles constitué un moyen de libérer le corps et la sexualité des femmes ou de les contrôler davantage ?


En France, depuis les années 1980, on constate un recours très fort à la pilule contraceptive qui devient, à partir du milieu des années 70, le moyen principal de contraception. Elle continuera à être de plus en plus utilisée jusqu’aux années 2000, accompagnée également du DIU. En revanche, le recours aux autres techniques contraceptives est moins systématique, même si depuis les années 2000, on constate l’usage de plus en plus courant du préservatif ou d’autres alternatives hormonales. En France, la contraception passe essentiellement par la prescription médicale et les médecins (généraliste et gynécologues) sont les principaux conseillers en la matière.


Toutefois, à l’échelle mondiale, la première méthode est la stérilisation. Si la seconde est le dispositif intra-utérin, la pilule et le préservatif n’arrivent qu’en troisième et quatrième position des contraceptifs les plus employés. On peut néanmoins constater qu'au XXème siècle, l’histoire de la contraception est marquée par sa très forte médicalisation, qui intervient de façon croissante sur le corps des femmes. Finalement, les procédés contraceptifs ne visent plus systématiquement l’acte sexuel lui-même ou le corps des hommes pour se focaliser principalement sur celui des femmes. Même si dans certains pays le retrait, le préservatif et la vasectomie continuent d’être très largement utilisés, les hommes restent largement épargnés par la charge contraceptive.


Enfin, ce qui caractérise l'histoire de la contraception, c’est la très forte industrialisation de la production de contraceptifs.


Au niveau mondial depuis le milieu du XIXème siècle, le rôle de l’industrie pharmaceutique et chimique est de plus en plus important dans la régulation de la fécondité. Pendant de nombreuses décennies, en France comme dans d’autres pays, l’interdiction d’accéder à la contraception était utilisée comme une forme de contrôle social sur la sexualité des femmes. Dans ce contexte de moralisation, le développement de méthodes contraceptives facilement accessibles et garantissant un niveau d’efficacité élevé a été perçu comme une forme de libération des normes de sexualité en vigueur et du contrôle social qui pesait sur leur corps.


24 mai 1977 à Paris.

Mais d’autres usages possibles de ces techniques existaient ; définies comme libératrices dans certains contextes, elles ont été parfois utilisées de manière plus coercitive dans le but de limiter les naissances au sein des catégories les plus pauvres, ou encore dans certains pays à forte expansion démographique. Si la pilule a été perçue par Margaret Sanger, militante anarchiste américaine qui lutta pour la contraception et la liberté d'expression, comme un moyen de libérer les femmes d’un trop grand nombre de grossesses, elle a en fait été financée par une fondation qui avait pour visée de limiter les naissances dans les classes populaires et faire en sorte que les catégories les plus pauvres de la population n’aient pas trop d’enfants. Finalement, une intention de contrôle coercitif des naissances est peut-être à l’origine du développement des divers modes de contraception.


Présentée comme libératrice, la contraception a parfois été utilisée de manière plus coercitive dans le but de limiter les naissances au sein des catégories les plus pauvres et dans les pays à forte expansion démographique. À ce titre le développement moderne du stérilet n’est pas le fruit d’une volonté de libérer les femmes d’un trop grand nombre de grossesses, comme le suggérait la militante anarchiste, Margaret Sanger, mais le résultat d’une pensée visant à dénataliser certains pays. En effet dès les années 60 quelques philanthropes et médecins néomalthusiens mettent au point une procédé contraceptif destiné à faire baisser drastiquement les taux de fécondité des pays du sud. Ils n’ont pas confiance dans la pilule dont l’efficacité repose sur le respect d’un calendrier strict et la bonne volonté des femmes. Le stérilet pas son caractère astreignant, c’est-à-dire de longue durée et indépendant de l’utilisatrice, porte alors tous les espoirs. L’ancien président de l’International Planned Parenthood Federation, résume ainsi l’intérêt porté au stérilet : « Aucun contraceptif ne pourrait être meilleur marché et, de surcroît, une fois que le foutu machin est rentré, la patiente ne peut plus changer d’avis. » Les concepteurs du stérilet conçoivent l’utérus comme un territoire à occuper et à contrôler afin de réguler les femmes qui surprocréent et peu importe les conséquences sur la santé des femmes. Ainsi, seront utilisés des dispositifs contraceptifs toxiques, Majzalin Spring et Dalkon Shield, qui s’incrustent dans la paroi utérine et causent de graves infections et parfois la stérilité.

Le dispositif intra-utérin a également été promu dans les années 50 puis 60, par des organismes internationaux, principalement dans des pays pauvres.


Ainsi, c’est la crainte de l’expansion démographique de ces pays qui fut à l’origine d’un grand nombre de financements destinés à généraliser son utilisation. Il s’agissait alors de proposer une alternative plus radicale à la pilule puisqu’elle ne convoquait pas la bonne volonté de l’utilisatrice. De manière assez ironique, le stérilet sera d’abord très largement utilisé aux États-Unis par les femmes blanches de classe moyenne, alors qu’il ne leur était initialement pas destiné.


Des femmes dans un camp de stérilisation de l'Etat de Chhattisgarh.

Si la stérilisation a pu également être employée de manière coercitive en Inde et en Chine dans les années 70 ou encore aux États-Unis dans les années 30, elle l’est aujourd’hui en Angleterre ou aux États-Unis par les classes moyennes désirant limiter la taille de leur famille de manière plus libre et ce, depuis les années 80.


Finalement, il existe un certain nombre d’enjeux politiques derrière l’interdiction ou l’accès aux méthodes de contraception.


Bien qu'interdite en France métropolitaine dans les années 60, la contraception était perçue par de nombreuses catégories de la population et notamment les femmes, comme un moyen de se libérer des normes familiales et sexuelles. Au même moment, dans les départements d’Outre-Mer, où la fécondité était considérée comme dangereuse pour la nation, on faisait la propagande de la contraception et de l’avortement. On observe donc un double standard qui consiste à interdire au même moment les mêmes méthodes dont on favorise la diffusion dans des population pauvres et non blanches. Ainsi, cette politique s’inscrit dans un discours très répandu à l’époque sur le développement des pays pauvres, que seule permettrait la limitation des naissances à grande échelle. On observe alors des rapports de pouvoir entre populations riches et non riches, blanches et non blanches de type coloniaux.


En France, plus récemment, des techniques comme l’implant, pouvant être jugées plus drastiques que la pilule contraceptive, et/ou moins dépendante de la volonté des utilisatrices, visaient les population non blanches, alors qu’elles étaient le plus souvent refusées aux populations blanches. Ainsi, l’histoire de la contraception n’est pas que l’histoire d’une libération. Ces techniques et technologies ont pu être conçues et utilisées aussi bien dans une perspective de libération des corps que de leur contrôle. Ces enjeux s’inscrivent dans des rapports de pouvoir géopolitique entre pays mais se retrouvent également en-deçà des frontières géographiques, au sein même des pays, entre classes sociales et entre catégories ethno-raciales.


L’histoire des techniques contraceptives, ne peut ainsi pas faire l’économie de l’histoire des pratiques elles-mêmes et des représentations et usages associés à chaque méthode et à chacune de ces pratiques dans différents contextes socio-géographiques et historiques.

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